mercredi 9 mars 2011

HENRY MILLER

Écrivain américain dont l'œuvre combat le puritanisme anglo-saxon, l'hypocrisie bourgeoise et, plus généralement, la civilisation occidentale (et par là même sa culture, ses traditions et ses coutumes, son histoire, ses arts, sa science, ses méthodes d'enseignement et d'éducation; il ne voit partout que la dégradation de l'homme). Il fait l'éloge d'une existence et d'une sexualité libérée…

Henry Miller naît à NewYork le 26 décembre 1891, de parents d'origine allemande (fils d'un modeste tailleur), Miller est un enfant de Brooklyn, et plus particulièrement de la rue dont il fait son domaine: "Ce qui ne se passe pas en pleine rue est faux, c'est-à-dire littérature." (préface de « Black Spring » écrit en 1936).

Après de brèves études au City College de NewYork, il exerce divers petits métiers (notamment chef des coursiers à la Western Union Telegraph Company, métiers qu'il raconte dans « Sexus » et qui le met en contact avec les types d'humanité les plus variés).

Il se marie en 1917, mais quitte bientôt sa femme (Maude dans « Sexus »). Il fait, à l'occasion d'un voyage dans l'Ouest, la connaissance d'Emma Goldman (1869/1940, révolutionnaire et anarchiste russe d'origine américaine qui publia de 1906 à 1917 « Mother Earth », un mensuel anarchiste) qui lui fait connaître Nietzsche, Bakounine, Strindberg, Ibsen.

En 1922, il écrit son premier livre, « Clipped wings », resté inédit. En 1923, il épouse June Edith Smith (rencontrée dans un dance palace de Broadway), la seule femme qui compta dans sa vie (bien qu'il se fût marié cinq fois), et celle qui hante la plupart de son œuvre, la Mona-Mara des « Tropiques » et de la « Crucifixion en Rose » (1949).

Au cours de cette union qui dura sept ans, Miller, incapable de supporter la moindre contrainte extérieure, autodidacte absolu, fait le serment de ne se consacrer qu'exclusivement à la littérature et s'établit, dès 1930, à Paris, où, pendant dix années, il mène la vie de bohême évoquée dans trois romans autobiographiques, « Tropique du Cancer » (1934), publié grâce à la contribution d'Anaïs Nin, « Printemps Noir » (1936) et « Tropique du Capricorne », (1939).
Jugés pornographiques, ces ouvrages furent interdits de publication aux États-Unis mais circulèrent clandestinement et contribuèrent à donner à leur auteur une réputation d'avant-gardiste.
Fuyant la guerre, Miller se rend en Grèce à Corfou, où l'a invité son ami Lawrence Durrel (romancier et poète britannique amoureux de la complexité et de la beauté des paysages méditerranéens; lire « Correspondance Privée » qui reconstitue son amitié avec H. Miller) et en rapporte le « Colosse de Maroussi » (1941), consacré à la Grèce de simples paysans vivant en communion avec l'âme du passé et de l'univers.

À son retour en 1940, un voyage à travers les États-Unis en compagnie du peintre Abe Rattner lui inspire le « Cauchemar Climatisé » (1945), suivi de « Souvenirs, Souvenirs » (1947), féroce diatribe contre "!la civilisation américaine qui n'a abouti qu'à créer un désert spirituel et culturel!".

Seuls sont épargnés les anticonformistes, ceux qui ont su préserver leur innocence primitive et résister à l'aliénation de la civilisation industrielle. Retiré à Big Sur (son "Jardin des Délices"), en Californie, où il mène une vie de reclus, Miller évoque NewYork (Dimanche après guerre, 1945), la nature paradisiaque de BigSur, qui incite au retour à la sagesse, à la dignité et à l'harmonie dans l'univers (« BigSur et les oranges de Jérôme Bosch », 1957).

Des essais (« Le Monde du Sexe », 1940 ; « Les Livres de ma Vie », 1952 ; « The Time of the Assassins : A Study of Rimbaud », 1956) révèlent le souci de bâtir une légende personnelle mais aussi le gauchissement de l'écriture, devenue "littéraire", au sens péjoratif où l'entendait Miller.

La seconde trilogie, la « Crucifixion en Rose » (Sexus, 1949 ; Plexus, 1953 ; Nexus, 1960) participe de la même mythologie de l'écriture ainsi que d'une volonté anthropocentrique: revenant sur les années 1923-1928, Miller dit, à travers un enchevêtrement de portraits, de dialogues et de confidences, tout ce qui a marqué sa sensibilité ou son esprit.

Manifestant un vif intérêt pour la peinture, seule apte à appréhender le réel (« Peindre, c'est aimer à nouveau », 1960 ; « Virage à 80 », 1973), Miller est également l'auteur de « Jours tranquilles à Clichy » (1966) et d'une correspondance avec Lawrence Durrell (publiée en 1963) et Wallace Fowlie (publiée en 1975).

Souvent jugée scandaleuse parce que incomprise, parfois qualifiée d'antiféministe, son œuvre a exercé une profonde influence sur les écrivains de la Beat Generation.
L'œuvre de Miller est presque totalement autobiographique. Comme les grands écrivains américains de sa génération, Miller est un prodigieux conteur. Mais, par ses élans prophétiques, l'omniprésence dans ses textes du rêve et du fantasme, il s'en démarque profondément, tandis que le sens même de sa démarche artistique reflète une exigence vitale qui l'apparente à Rimbaud : "Je cherche tous les moyens d'expression possibles et imaginables et c'est comme un bégaiement divin."
Miller est en outre un contempteur impitoyable de l'Amérique, de son matérialisme, de la perversité de ses mœurs, de son "cauchemar climatisé". À cela, il faut opposer la jeunesse de ses quatre-vingts ans (« Virage à 80 », 1973). L'obscénité, qu'il manie avec une violence incomparable, est d'abord une arme dirigée contre l'hypocrisie de la morale puritaine. Mais elle apparaît aussi, dans une perspective érotique propre à l'auteur, comme un instrument de libération du moi qui dépasse largement l'émancipation sociale.

Mystique et sensualiste tout à la fois, Henry Miller aspire à une transformation totale de l'homme, une accession à un plan supérieur où, ayant touché au paroxysme de la joie et de la douleur, l'individu pleinement réalisé puisse, avec Miller, déclarer : "Ma vie n'a été qu'une longue crucifixion en rose" (Nexus).

La recherche d'une telle intensité, dans l'existence comme dans la création, lui confère une place unique dans la littérature moderne. Il meurt à Pacific Palisades, Californie en 1980.

Miller est-il vraiment l'un des responsables de cette libération des mœurs que l'on a observée dans les années 1960-1970 non seulement en Amérique mais aussi dans le monde occidental tout entier, ou ne l'a-t-il que prévu avec beaucoup d'acuité ?

Toute la question de l'importance et de l'influence de l'écrivain est ainsi formulée. Après que les hippies , ainsi que la plus grande partie de la jeunesse américaine en révolte, eurent été sous les feux de la rampe, on a perdu de vue le rôle capital qu'a eu Miller dans l'ébranlement, non seulement du puritanisme, mais de toute cette société étriquée du XIXe siècle qui se perpétue dans le XXe…

On dit que les jeunes ne lisent plus Miller ou presque pas. Mais ils ont lu les Kerouac, les Ginsberg, Mailer, Corso, Ferlinghetti, qui tous sont issus presque directement de Miller.

Bien sûr, avant Miller, il y avait eu D. H. Lawrence. Mais il faut savoir mesurer la distance entre les deux, qui n'est rien de moins qu'énorme. Une Kate Millett (« Sexual Politics »), qui ne peut certainement pas être accusée de préjugés favorables, puisqu'elle condamne Miller au nom de la femme, dit que Lawrence aurait probablement été scandalisé par lui. On oublie peut-être que, en s'attaquant avec une telle férocité aux mœurs sexuelles, Miller s'en prenait en toute connaissance de cause au fondement même de l'édifice social, qui pour lui emprisonne l'homme. Il le dit clairement dans « Tropique du Cancer ».

Si les jeunes ne le lisent plus, en cela même ne sont-il pas fidèles à cet aspect tellement antilittéraire de Miller, "où l'art, dit-il, doit être le fait de chacun" ? Cet autre aspect typiquement millérien, les jeunes le mettent de plus en plus en pratique…. Henry Miller semble être de la taille de ces géants authentiques qui dépassent leur époque, pour aider à la création de celles à venir, et qui ne peuvent être jugés à leur vraie mesure qu'avec beaucoup de recul.

Interview d'Henry Miller au "Sel de la Semaine" par Fernand Séguin :







Bibliographie :
"Clipped Wings" (1922) / inédit
"Tropique du Cancer" (1934) Gallimard Folio  (Tropic of Cancer)
"Aller-Retour New York" (1935) Buchet Chastel 
"Printemps Noir" (1936) (Black Spring)
"Max et les Phagocytes" (1938) Livre de Poche  (Max and the Phagocytes)
"L'Argent, son Evolution" (1938) (The Money and how it get's that Way)
"Tropique du Capricorne" (1939) Livre de Poche 44 Frs (Tropic of Capricorn)
"L'oeil du Cosmos" (1939) (The Cosmological Eye)
"Colosse de Maroussi" (1941) Livre de Poche (The Colosse of Maroussi)
"La Sagesse du Coeur" (1941) (The Wisdom of the Heart)
"Dimanche Après Guerre" (1944) Stock - Litt. Etrangère 100 (Sunday after the War)
"Varda, le Constructeur" (1944) (Varda, the Master Builder)
"La Grande Misère de l'Artiste aux USA" (1944) (The Plight of the Creative Artist in USA)
"Qu'allez-vous faire pour Alf" (1944) (What are you going to do about Alf ?)
"Reflets d'un Passé Fervent" (1944) (Semblance of a Devoted Past
"Le Cauchemard Climatisé" (1945) Gallimard Folio (Air Conditionned Nightmare)
"L'Obscénité et la Loi de la Réflexion" (1945) (Obscenity and the Law of Reflection)
"Maurizius pour Toujours" (1946) (Maurizius for Ever)
"Souvenirs, Souvenirs (1947) (Remember, Remember)
"Le Sourire au pied de l'Echelle" (1948) (The Smile at the Foot of the Ladder)
"Sexus" (1949) (1er volet de la Crucifixion en Rose / The Rosy Crucifixion I)
"Blaise Cendrars" (1951)
"Plexus" (1952) (2nd volet de la Crucifixion en Rose / The Rosy Crucifixion II)
"Amours sans Importance" (1955) (Night of Love and Laughter)
"Un Diable au Paradis" (1956) (A Devil in Paradise, the Story of Conrad Moricand)
"Hamlet" (1956) (Hamlet, a philosophical Correspondence with Michael Fraenkel)
"Big Sur et les Oranges de Jérôme Bosch" (1957) Buchet Chastel 
"Le Carnet Rouge" (1959) (The Red Notebook)
"Nexus" (1960) (3ème volet de la Crucifixion en Rose / The Rosy Crucifixion III)
"Peindre c'est Aimer à Nouveau" (1960) (To Paint is to Love Again)
"Water Color, Drawings and his Essay, the Angel is my Watermark" (1962)
"Reste Immobile comme un Colibri" (1962) (Stand still like the Humming Bird)
"Jours Tranquilles à Clichy" (1966) Bourgois Christian 75 Frs / Pochet - Best 26 
"Virage à 80" (1973)
"J'suis pas plus con qu'un autre" (1977) Buchet Chastel 
"Au Fil du Temps Livre de Poche" 
"Crazy Cock 10/18 Domaine Etranger"
"J'suis pas plus con qu'un autre Buchet Chastel"

Essais :
"Le Monde du Sexe" (1940) 10/18 Domaine Etranger 
"Le Monde du Sexe" (1940) Livre de Poche 
"Les Livres de ma Vie" (1952) Gallimard Monde Entier 110 (Books in my Life)
"Les Livres de ma Vie" (1952) Gallimard L'Etrangère 84  (Books in my Life)
"The Time of the Assassins : A Study of Rimbaud" (1956) Albin Michel / Indisponible
"L'Oiseau Mouche" Essais T2 Bourgois Christian 
"Entretiens de Paris" Stock Bibliothèque Cosmopolite 
"Art et Outrage" Essais T1 Bourgois Christian 
Correspondance privée avec Lawrence Durrell (1963) : Le Monde de D.H. Lawrence : Une Appréciation Passionnée par Henry Miller et A. Catineau Buchet Chastel 
Correspondance privée avec Wallace Fowlie (1975) Buchet Chastel 
Correspondance avec Blaise Cendrars Denoel Litterature Française 
Réunion à Barcelone (1959) (Reunion in Barcelona, a Letter to ALlfred Perles)

À Lire :
"Henry Miller ou le diable en liberté" par Jong Erica Grasset et Fasquelle 
"Henry Miller ou le diable en liberté" par Jong Erica Livre de Poche
"Henry Miller, rocher heureux" par Brassai Gallimard Blanche